À mesure que l’échéance approche, l’inquiétude et la colère s’amplifient en Italie, où le gouvernement de Giorgia Meloni souhaite depuis plusieurs mois interdire toute forme de cannabis, CBD compris, et n’autoriser que le seul chanvre thérapeutique sous prescription médicale. Les raisons avancées ressemblent fort à un prétexte et suscitent les protestations vigoureuse des professionnels de la filière, qui craignent de devoir mettre la clé sous la porte si le projet de loi déjà validé par la chambre des députés est voté au Sénat avant la fin de l’année.
Depuis que le cannabis thérapeutique y a été légalisé en avril 2006 par un arrêté législatif, l’Italie a toujours entretenu des rapports difficiles avec la plante. Dès le départ, les seuls produits médicaux disponibles sont des préparations effectuées marginalement par des pharmaciens à l’aide de substances actives à base de chanvre, administrées le plus souvent par inhalation avec un vaporisateur adapté. Certains médicaments apparaissent ensuite sur le territoire, mais ils sont si mal distribués et si onéreux qu’il est quasiment impossible de s’en procurer. En effet, les rares médicaments que l’on peut trouver sont fabriqués et vendus aux pharmacies par des entreprises néerlandaises, l’Italie ne disposant pas de culture de cannabis thérapeutique. En 2013, des médicaments à l’efficacité reconnue comme le Sativex sont à leur tour autorisés sur le marché, soumis comme les précédents à la prescription d’un médecin et limités à un nombre déterminé de pathologies comme la sclérose en plaques, l’épilepsie ou les névralgies.
Il faut attendre l’année 2014 pour que le gouvernement italien autorise enfin la culture de cannabis thérapeutique sur le territoire, mais seul le ministère de la Défense en a la possibilité, à la suite d’un protocole d’accord passé avec le ministère de la Santé. La production de chanvre est ainsi confiée à l’armée qui montre vite ses limites et peine à fournir les quantités nécessaires qui vont quintupler entre 2014 et 2016, les demandes des patients étant de plus en plus nombreuses. Beaucoup de malades découragés par les conditions et les tarifs d’une obtention légale préfèrent même passer par un marché noir bien plus accessible pour se fournir en médicaments. En 2016, une nouvelle directive émise par le ministère italien de l’Agriculture et effective dès le début de l’année suivante autorise la production de chanvre aux agriculteurs italiens sous un certain nombre de conditions. En accord avec la législation européenne, le niveau de THC légal ne doit pas dépasser 0,2 %, mais les cultivateurs ne sont sanctionnés que si le taux est supérieur à 6 %.
Une perte financière pour la filière du CBD estimé à 250 millions d’euros.
Dans ce cas, les produits et le matériel peuvent alors être saisis et détruits par les autorités. Cette nouvelle directive permet à la production de « chanvre light », qui ne qualifie rien d’autre ou presque que le CBD, de se développer à travers tout le pays et de devenir dans les années qui suivent, l’une des plus florissantes de l’Union européenne. De nombreuses entreprises voient le jour et fournissent de la matière première à d’autres pays d’Europe moins bien achalandés ou entravés par une législation moins clémente et notamment la France où le CBD commence à prendre son essor dans la douleur. La filière est ainsi bien installée lorsque la droite conservatrice menée par Giorgia Meloni prend en 2022 la direction du pays avec des projets néfastes pour la filière du cannabis, qui vont se concrétiser au milieu de cette année 2024. Le gouvernement italien publie alors un décret incluant les huiles au CBD parmi les stupéfiants sous prétexte d’un potentiel danger pour les sécurités publique et routière, signant de facto leur interdiction à la vente.
Un décret qui suscite un véritable tollé de la filière dont plusieurs acteurs portent l’affaire devant les tribunaux, avant d’obtenir provisoirement gain de cause. Ce revers ne décourage pas le gouvernement qui introduit alors dans son nouveau projet de loi sécuritaire très controversé, déposé au printemps dernier, un amendement consacré au cannabis et qui interdit noir sur blanc « l’importation, le transfert, le traitement, la distribution, le commerce, le transport, l’envoi, l’expédition et la livraison d’inflorescences de chanvre même sous forme séchée, transformée ou déchiquetée, y compris les extraits, la résine et les huiles qui en sont dérivés. » Une véritable catastrophe pour les 2 500 à 3 000 entreprises de la filière du cannabis light qui emploient 15 à 20 000 personnes et qui se verraient dans l’obligation de mettre un terme à leur activité, mais que le gouvernement Meloni défend en affirmant qu’une telle mesure est nécessaire pour mettre un terme à une zone grise juridique, la loi de 2016 n’étant pas suffisamment claire et conduisant à une interprétation trop laxiste.
Présenté devant la chambre basse du Parlement, l’amendement a d’ores et déjà été validé par cette dernière en septembre et doit recevoir l’agrément du Sénat dans les jours qui viennent. Même s’il est adopté, la filière du CBD ne compte pas se laisser faire et renoncer sans combattre aux 500 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel que représente la culture du cannabis light. Plusieurs acteurs de la filière ont déjà annoncé leur intention de porter l’affaire devant la CJUE, comme l’avait fait la société Kanavape en France en 2016, convaincus que la plus haute instance de justice de l’Union européenne leur donnera raison une fois de plus. Néanmoins, si le CBD est bel et bien interdit, les délais entre le dépôt de plainte et une éventuelle décision favorable de la Cour de Justice de l’Union européenne risquent d’engendre un lourd préjudice financier pour les entreprises du CBD, estimé à quelque 250 millions d’euros. Ceci, dans un climat économique déjà très délétère en Italie, comme dans tout le reste de la communauté ou presque.