Le feuilleton se poursuit en Italie où le Sénat n’a toujours pas validé l‘amendement à la loi sur la sécurité proposé par le gouvernement au milieu de l’année dernière et qui vise à inclure le CBD parmi les stupéfiants. À l’automne 2024, plusieurs associations italiennes et européennes de défense du cannabis ont adressé à Bruxelles une pétition discutée ce lundi, afin que la Commission européenne intervienne pour régler favorablement la situation qui paralyse actuellement la filière du CBD.
Comme nous l’avions détaillé ici même en novembre, le gouvernement italien de Georgia Meloni a promulgué au mois d’août dernier un décret qui classe les produits ingérables à base de CBD parmi les stupéfiants. Même si ce décret a été provisoirement suspendu par le tribunal administratif du Latium au mois de septembre 2024, il n’en demeure pas moins une menace pour toute la filière du CBD, également confrontée à l’amendement à la loi sur la sécurité nationale qui souhaite interdire le commerce des fleurs de chanvre et de leurs dérivés. En effet, même les matières premières dont le taux de THC est inférieur au taux légal de 0,3 % seraient concernées par cet amendement, ce qui a évidemment suscité la colère de tous les professionnels du CBD. Ces derniers ont répliqué en portant l’affaire devant les tribunaux italiens, mais ont également adressé à la Commission européenne une pétition soutenue par de nombreux acteurs de la filière cannabique européenne, comptant autant d’industriels que d’associations et syndicats.
Ce lundi 17 mars, les membres de la Commission européenne ont débattu en urgence de cette pétition et de la situation italienne avec plusieurs acteurs concernés, parmi lesquels des membres de de la Direction générale de l’Agriculture européenne, de la Commission des pétitions de l’UE, mais aussi Mattia Cusani, président de Canapa Sativa Italiana, une association transalpine qui réunit l’ensemble des opérateurs italiens œuvrant dans les filières du cannabis et du CBD. M. Cusani a donné à la Commission les raisons de la pétition dont il est le principal initiateur et rédacteur et décrit la situation difficile dans laquelle se trouvent actuellement les professionnels du secteur. Il a également fustigé le gouvernement italien en déclarant que la législation proposée par ce dernier « incluant le décret sur le CBD et l’amendement au projet de loi sur la sécurité, constitue un exemple clair de violation des règles fondamentales du marché unique et du principe de concurrence loyale ».
Le texte de la pétition demande aux instances européennes de vérifier en premier lieu la conformité de la réglementation italienne, mais aussi d’intervenir pour y mettre un terme comme cela a été le cas en 2020 dans l’affaire Kanavape citée en commission par Mattia Cusani. Ce dernier a également accusé le gouvernement italien de ne pas avoir respecté la procédure Tris de 2015 qui oblige les États membres à notifier à la Commission les projets législatifs concernant les marchandises : « Il est important de souligner que l’Italie n’a pas respecté ses obligations envers l’UE en omettant la notification préventive au système Tris, requise par la législation européenne. Cette omission empêche une discussion démocratique et transparente. Si nous permettons à des États individuels de contourner les procédures de transparence, nous risquons d’affaiblir les fondements mêmes du marché commun, réduisant à néant des décennies d’efforts pour construire une Europe fondée sur les droits, la liberté économique et la certitude. »
La Commission européenne n’a pris dans l’immédiat aucune mesure contraignante à l’encontre du gouvernement italien, lui adressant uniquement un courrier de protestation.
Si la plaidoirie du président de Canapa Sativa Italiana semble avoir fait mouche auprès de la commission des pétitions qui lui a apporté un soutien ferme, tout comme plusieurs députés européens de poids, la Commission européenne n’a quant à elle rendu aucune décision contraignante. La seule initiative issue de ce débat est la rédaction d’une plainte officielle qui sera adressée au gouvernement italien, ce dernier disposant de 90 jours pour y répondre. La pétition restant ouverte à la discussion, une nouvelle réunion de la Commission devrait normalement se tenir dans trois mois si le gouvernement italien ne réagit pas au courrier de protestation, avec cette fois-ci à la clé, une réponse juridique des instances européennes. Des mois pendant lesquels la filière du CBD demeure donc dans une totale incertitude, avec une épée de Damoclès menaçant l’ensemble de ses activités puisque, si le projet du gouvernement est validé par le Sénat entre-temps, il faudra encore des mois pour que la Commission européenne en ordonne légalement le retrait.
Les professionnels du secteur qui espéraient une décision rapide de la Commission se montrent donc plutôt déçus, estimant que la perte financière pourrait être supérieure à 250 millions d’euros si le scénario d’une validation du Sénat se concrétise. Le marché italien du CBD réunit en effet plus de 2 000 entreprises et emploie 20 000 personnes pour un chiffre d’affaires annuel supérieur à 500 millions d’euros. Certains députés comme Flavio Tosi du parti Forza Italia n’ont d’ailleurs pas caché leurs inquiétudes sur les conséquences d’une entrée en vigueur de la nouvelle législation, pointant notamment l’innocuité des produits issus de la filière et la fiabilité des professionnels en matière de sécurité : « Il ne s’agit pas de drogues ou de trafiquants de drogue, mais d’une chaîne d’approvisionnement sérieuse, respectant des normes scientifiques rigoureuses. » La Commission quant a elle s’est voulue rassurante en précisant que l’évaluation était toujours en cours et que des décisions seront prises lorsque celle-ci sera terminée.