Alors que les recettes fiscales liées aux vente de cannabis légal n’ont jamais été aussi élevées aux États-Unis, certains États accusent paradoxalement une chute notable de leur chiffre d’affaires dans le domaine. C’est le cas en particulier de la Californie dont les recettes ont largement baissé au cours du premier trimestre de cette année et dont plusieurs milliers d’entreprises ont mis la clé sous la porte. Si certaines causes de cet affaissement sont liées à la mécanique ordinaire et inévitable du marché, d’autres sont plutôt circonstancielles et administratives. Analyse.
Un récent rapport publié aux États-Unis révélait que le cannabis récréatif avait rapporté en dix ans, depuis l’ouverture des premiers commerces, quelque 25 milliards de dollars de recettes fiscales, dont 4,4 milliards pour la seule année 2024 dans l’ensemble des 24 États où il est désormais autorisé. Un chiffre qui devrait encore augmenter en 2025 et les années suivantes, à mesure que les États légaliseront la marijuana. Le marché légal du cannabis a également participé à une croissance parfois importante de l’emploi dans certains États, à travers à la création de milliers d’entreprises. Sur le podium des plus grosses recettes en 2024, on trouve en seconde et troisième places l’Illinois et le Michigan, la pôle position étant occupée par la Californie avec plus d’un milliard de dollars de recettes fiscales, soit deux fois plus que son prédécesseur. Il s’agit toutefois d’une victoire en trompe-l’œil, car elle ne témoigne nullement dans ce cas-là de la bonne santé du marché. Si la Californie tient la tête du classement, c’est en effet pour des raisons historiques, géographiques et démographiques qui font de cet État le plus riche et le plus peuplé du pays.
Sa première place est donc d’autant plus normale, que le cannabis y est cultivé depuis longtemps, d’abord de manière illicite, puis légalement depuis novembre 2016, ce qui en fait le huitième État à avoir autorisé la marijuana, mais avec des structures alors bien plus avancées que dans les autres États. Or malgré des recettes largement supérieures aux autres en 2024, l’État de Californie était déjà l’année dernière sur une pente glissante l’entraînant inéluctablement vers un affaissement économique qui n’a pas manqué de se produire. Les chiffres délivrés par le magazine SFGATE au début du mois de juin révèlent en effet une chute historique du montant des ventes imposables au cours du premier trimestre 2025 avec 1, 088 milliard de dollars contre 1,2 milliard durant la même période l’année précédente, soit une baisse de 11 %. Le Dpartement of Tax an Fee Administration, en charge des recettes fiscales de l’État n’a pas contesté le chiffre de SFGATE, se contentant d’y apporter quelques nuances en indiquant que les données pouvaient fluctuer à mesure que les entreprises effectuaient leurs déclarations.
Si le marché global du cannabis récréatif est en augmentation aux USA, la filière californienne subit quant à elle une baisse substantielle de ses bénéfices.
Il n’en demeure pas moins que de nombreux experts alertaient depuis des mois sur la situation délicate du marché de la marijuana au vu des faillites enregistrées ces deux dernières années et dues à un ensemble de facteurs variés, avec au premier chef, l’administration californienne himself. La filière du cannabis légal est en effet soumise à une réglementation très lourde et des taxes particulièrement élevées qui pénalisent les professionnels face à la concurrence impitoyable du marché illicite qui ne souffre quant à lui d’aucune charge. La légalisation a également engendré une concurrence licite qui a mécaniquement tiré les prix de gros vers le bas, réduit les marges et donc les bénéfices, menant à la faillite les entreprises les plus fragiles qui sont aussi les plus nombreuses. En Californie, le marché noir installé depuis des lustres est demeuré très actif puisqu’il représentait encore l’année dernière plus de 60 % des achats effectués par les consommateurs, malgré les risques élevés de tomber sur des produits frelatés ou trafiqués, parfois très délétères pour la santé.
Certains observateurs suggèrent également que cette baisse du marché est la conséquence logique d’un emballement du marché au cours des premières années, puis encore largement boosté lors de la pandémie de covid et qui s’est vu finalement rattrapé par les réalités économiques, comme tout autre marché de détail. Une sorte de retour au réel après des années fastes en partie dues à des circonstances extraordinaires qui ont donné aux professionnels l’impression erronée que le marché du cannabis était à l’abri de la récession. Or, l’économie américaine a souffert comme beaucoup d’autres d’une inflation importante au cours des dernières années et les restrictions commerciales imposées par le gouvernement de Donald Trump a crispé encore davantage les consommateurs. Cette situation a conduit à un paradoxe matérialisé par une augmentation des ventes, en même temps qu’une baisse importante du chiffre d’affaires global. En effet, malgré les 11 % de baisse, les détaillants ont vendu au premier trimestre 2025 quelque 57,4 millions de produits cannabiques contre 56,9 millions en 2024, soit une augmentation de 0,92 %.
Le problème, c’est que les consommateurs s’ils ont acheté davantage, se sont tournés vers des produits moins chers, rognant ainsi les bénéfices des détaillants et de toute la chaîne en amont. Un autre signe de cette déliquescence du marché est la valeur des licences qui s’est littéralement effondrée, au point que beaucoup d’entre elles s’échangent aujourd’hui gratuitement, alors qu’elles pouvaient se vendre plusieurs centaines de milliers de dollars, voire plusieurs millions pour les plus grosses entreprises, dans les premières années ayant suivi la légalisation. Et la situation ne devrait pas s’améliorer avec l’augmentation de la taxe d’accise (appliquée en fonction du volume de produit déclaré) effective dès le 1er juillet prochain et qui devrait passer de 15 à 19 %. Un coup de massue supplémentaire pour les professionnels qui doivent déjà payer jusqu’à 30 % de taxes locales et étatiques et qui les obligerait à augmenter leurs prix avec le risque de voir la clientèle se replier encore plus vers le marché noir. Afin de geler cette augmentation de la taxe d’accise, des sénateurs démocrates ont déposé un projet de loi d’ores et déjà adopté par la chambre basse de Californie, mais qui doit encore passer devant les sénateurs de l’État. Tout les professionnels du secteur cannabique croisent désormais les doigts.