Surprise de taille, après avoir mis un terme à la culture du pavot et au trafic de drogues dures dans la partie sud du fameux Triangle d’Or, voilà déjà quelques années, la Thaïlande a dépénalisé le cannabis en juin 2022.
Elle devient ainsi le premier pays d’Asie du Sud-Est à légitimer la culture de la plante sur son territoire. Une autorisation néanmoins soumise à certaines conditions et strictement encadrée.
« Dans un contexte de perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui touche très durement notre pays et particulièrement son secteur agricole, nous espérons que cette décision contribuera à stimuler l’économie en grande difficulté. » C’est par ces mots qu’Anutin Charnvirakul, ministre de la Santé au sein du gouvernement thaïlandais, a commenté la décision de légaliser la culture et le commerce du cannabis dans son pays et d’en dépénaliser l’usage sous certaines conditions. Le 9 février, le ministère dirigé par Anutin avait inscrit au Journal officiel du Royaume la décision prise 15 jours auparavant, de retirer le cannabis de la liste des produits stupéfiants appartenant à la catégorie 5 (comprenant également l’opium et certains champignons hallucinogènes). Comme le prévoit la législation thaïlandaise, la directive a donc pris effet 120 jours plus tard, le 9 juin dernier, entérinant une mesure historique dans cette partie du monde particulièrement répressive en matière de stupéfiants. Il faut dire qu’Anutin Charnvirakul avait basé sa campagne et celle de son parti, le Bhumjaithai, sur cette promesse de dépénalisation du cannabis lors des élections générales thaïlandaises de 2019. Avec succès, puisque qu’il avait obtenu un excellent score qui lui avait permis de briguer un poste de vice-premier ministre, conjointement à un mandat de ministre de la Santé. Des responsabilités au plus haut niveau, grâce auxquelles il a donc pu honorer ses engagements électoraux, même s’il avait déjà largement contribué à la légalisation du cannabis thérapeutique, quelques années auparavant.
Une stratégie des « petits pas » qui va d’abord s’appuyer sur des objectifs sanitaires
En décembre 2018, en effet, la Thaïlande avait déjà créé l’événement en autorisant l’utilisation du chanvre médical sur son territoire, rompant ainsi une première fois avec la rigidité des pays environnants, fermement opposés à toute forme d’ouverture du marché cannabique et de ses dérivés.
En prenant cette décision validée par 166 des 179 députés présents lors du vote, le gouvernement se faisait également le reflet d’un très large consensus populaire, puisque les Thaïlandais étaient selon les sondages, plus de 85 % à approuver cette légalisation dans un cadre thérapeutique. Peu après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, l’État avait créé par le biais de son organisation pharmaceutique (GPO) les premiers espaces de culture de chanvre médical au nord de Bangkok, dans le district de Pathum. Des dizaines de milliers de Thaïlandais précédemment condamnés pour usage illicite de cannabis thérapeutique avaient également demandé l’amnistie, notamment pour toutes les utilisations liées au cancer, à l’épilepsie et à la sclérose en plaques. Si la culture du cannabis demeurait toutefois l’apanage des instances gouvernementales, il n’en va plus ainsi avec le décret du 9 février, qui autorise donc cette nouvelle agriculture pour l’ensemble de la population thaïlandaise. C’est d’ailleurs cette promesse d’ouverture qui a particulièrement séduit l’électorat d’Anutin, largement composé d’agriculteurs très pauvres du nord-est du royaume dont la culture du riz et du sucre ne suffit plus à assurer la survie, et qui voient le cannabis comme un nouvel « or vert ». Néanmoins, dans une région du monde où le trafic de drogue constitue de longue date un problème de premier plan, exigeant parfois de véritables stratégies de guerre, toute avancée vers la normalisation ne peut qu’être d’abord que rigoureusement encadrée.
Timide sur le papier, la dépénalisation pourrait toutefois ouvrir quelques portes
Si l’annonce du retrait du cannabis de la liste des produits stupéfiants a fait grand bruit, il convient d’en relativiser la portée, tout au moins sur le plan légal.
En effet, la loi offre désormais la possibilité de cultiver la plante, de la vendre et d’en consommer dans un certain nombre de produits dérivés ou pour une utilisation strictement médicale, sous réserve que le taux de THC ne dépasse 0,2 %. L’usage récréatif demeure quant à lui interdit, même dans le cadre privé et fumer un joint dans la rue reste passible d’une amende de 25 000 baths (environ 760 euros) et d’une peine d’emprisonnement de trois mois. Les autorités néanmoins devraient se montrer magnanimes avec les contrevenants, puisque le désengorgement des prisons comptait pour une part non négligeable parmi les objectifs de la dépénalisation. La population carcérale de Thaïlande est en effet l’une des plus importantes de l’Asie du Sud-Est, avec plus de 285 000 détenus, dont la grande majorité (environ 80 %) pour des problèmes liés à la drogue.
Grâce à la nouvelle loi sur le cannabis, plus de 4 000 citoyens thaïlandais emprisonnés pour des délits mineurs de consommation ont déjà été libérés et quelque 16 tonnes de cannabis confisquées depuis un an par la police ont été en grande partie restituées à leurs propriétaires. Dans les faits, les particuliers peuvent depuis juin faire pousser à leur domicile autant de plants de cannabis qu’ils le souhaitent. Il leur suffit pour cela de s’inscrire et d’en faire la demande à la Food and Drug Administration via une application dédiée, poétiquement baptisée « Plook Ganja »… Plus de 100 000 personnes se sont inscrites dans la semaine qui a suivi la validation de la loi afin d’obtenir l’indispensable certificat d’enregistrement électronique, sans lequel toute culture est interdite sous peine d’une lourde amende (supérieure à 8 000 euros) et un emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans le même temps, le gouvernement a approuvé la commercialisation de quelque 1 200 produits contenant du cannabis, principalement sous forme de CBD, au nombre desquels des aliments de base, ou cuisinés, des boissons, des cosmétiques ou des produits parapharmaceutiques.
« Précurseurs dans l’Attente de la Loi : Les Pionniers de la Légalisation »
La dépénalisation du cannabis a été particulièrement bien accueillie en Thaïlande, beaucoup y voyant le meilleur moyen de renouer avec le profit après deux années de covid marquées par une très forte récession économique, dans un pays où 25 millions de personnes vivent exclusivement du tourisme.
Les autorités n’imaginaient probablement pas que cette initiative entraînerait très vite des débordements qu’il a donc fallu limiter en promulguant d’urgence des décrets provisoires. Il faut dire qu’Anutin avait annoncé avec une certaine témérité que les Thaïlandais, et en particulier les agriculteurs, pourraient voir leurs revenus augmenter de 12 000 baths (environ 320 euros) minimum par an en revendant leur récolte de cannabis aux industriels du secteur pharmaceutique. Avec un salaire mensuel moyen de 500 euros, mais largement inférieur pour beaucoup d’agriculteurs pauvres du nord du pays, on comprend mieux l’empressement des principaux intéressés à planter leurs petites graines… Après avoir précisé avec suffisamment de fermeté les contours de la loi, le gouvernement a annoncé la distribution aux ménages thaïlandais d’un million de plants de cannabis, issus de variétés respectant les normes légales. Ceci, afin que la culture de la plante puisse se banaliser au même titre que d’autres végétaux « domestiques » et ouvrir ainsi un nouveau marché prometteur, qui remettrait le pied à l’étrier pour de nombreux citoyens en grave difficulté, évoluant ou non dans le secteur agricole. Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’en limitant le taux de THC à 0,2 %, les autorités thaïlandaises ouvrent une voie royale au cannabidiol, qui pourrait bien devenir l’un des principaux acteurs du redressement économique du royaume. Un pas de plus vers la démocratisation planétaire de notre molécule préférée !
Le cannabis en Thaïlande, en chiffres et perspectives
En Thaïlande, le cannabis est traditionnellement cultivé depuis des siècles et réputé pour sa grande qualité, avec plus de dix variétés répertoriées.
Il est utilisé médicalement pour soulager un certain nombre de maux, en particulier dans les régions agricoles. La moitié des Thaïlandais admet d’ailleurs avoir consommé des produits à base de cannabis au cours des deux années écoulées et 62 % se disent intéressées par la consommation de ces mêmes produits dans l’année à venir. Avec sa récente dépénalisation, le gouvernement espère créer un nouveau marché international de chanvre médical et concurrencer ainsi des marchés déjà bien implantés, notamment américain et canadien. En Thaïlande, les entreprises impliquées dans le commerce du cannabis légal représentent déjà un marché oscillant entre 600 millions et un milliard de dollars, chiffre qui devrait doubler d’ici deux ans, avec un ratio d’environ un tiers pour le cannabis médical et les deux autres tiers pour les produits dérivés. Les exportations sur le seul marché asiatique, pourraient représenter quant à elles plus de 12 milliards de dollars d’ici 2025, dont quelque 2,8 milliards de dollars pour l’huile de CBD. Le cannabis sous toutes ses formes devrait néanmoins demeurer interdit aux jeunes âgés de moins de 20 ans, ainsi qu’aux femmes enceintes ou allaitantes.