Au début du mois de mars, le gouvernement sud-africain promulguait une loi interdisant la vente, l’importation et la fabrication de tout aliment contenant du cannabis, au grand dam de l’industrie du chanvre qui a menacé de poursuivre en justice le ministre de la Santé, à l’origine de cette décision. Devant cette levée de boucliers, ce dernier envisage à présent un retrait provisoire de la loi afin d’engager des discussions.
En Afrique du Sud, le cannabis récréatif est décriminalisé depuis 2017, mais c’est seulement l’année dernière, au mois de mai 2024, que le président Cyril Ramaphosa a signé la loi en faveur de sa légalisation, baptisée Cannabis for Private Puurposes Act (CFPPA). Cette décision faisait écho à son discours de 2022 sur l’état de la nation, au cours duquel il avait déclaré qu’une régulation du cannabis permettrait d’ouvrir un nouveau marché doté d’un immense potentiel économique et susceptible de créer plus de 130 000 emplois à travers tout le pays. Dès la légalisation entérinée, la filière a commencé à s’organiser à travers différentes initiatives comme la création d’écoles dédiées à la culture de la plante ou l’ouverture de dispensaires et l’industrie s’est mise en marche avec la création d’entreprises diverses, du grossiste au détaillant. De nombreux « clubs cannabiques » ont également fleuri dans les principales villes du pays attirant des consommateurs par milliers, mais suscitant aussi dans certains cas la désapprobation des autorités locales.
En effet, malgré la légalisation du mois de mai validée par le président et la Cour constitutionnelle, le cannabis est toujours réglementé par la loi de 1992 sur les drogues qui n’a pas été abrogée et qui peut donc toujours être invoquée pour justifier des opérations de police. Ce n’est pas là-dessus néanmoins que s’est appuyé le ministère de la Santé pour annoncer le 7 mars dernier, l’interdiction des produits ingérables à base de cannabis. Dans le détail, la nouvelle réglementation stipule que : « Nul ne peut vendre, fabriquer ou importer des denrées alimentaires transformées ou non transformées contenant une partie quelconque de la plante ou un composant du genre cannabis, y compris le cannabis sativa, cannabis indica, cannabis ruderalis, huile de graines de chanvre ou poudre dérivée de composants dérivés de cannabis sativa L et divers et de ses sous-espèces ». En bref, cela supprime tout un pan de l’industrie du cannabis alors que celle-ci est en pleine construction en Afrique du Sud, en même temps qu’un chiffre d’affaires substantiel.
Face au tollé des professionnels de la filière, le ministre de la Santé a ordonné le retrait des lois interdisant le commerce des denrées alimentaires contenant du cannabis.
Le ministre de la Santé Aaron Motsoaledi chargé des décisions concernant les denrées alimentaires a établi les nouvelles règles en se fondant sur une loi de 1972 qui considère toute activité commerciale utilisant du cannabis dans les produits alimentaires comme une infraction pénale. Pour justifier sa décision, Motsoaledi a principalement évoqué la santé publique et en particulier la protection des mineurs, susceptibles de consommer des produits mal contrôlés et difficiles à tracer. D’aucuns prétendent néanmoins que les décisions du ministre lui ont surtout été dictées par les lobbys de l’alcool et des produits pharmaceutiques qui voient l’arrivée du cannabis comme une concurrence préjudiciable à leurs bénéfices. Quoiqu’il en soit, les arguments d’Aaron Motsoaledi n’ont pas convaincu les professionnels de la filière qui ont vigoureusement protesté en dénonçant une violation des libertés individuelle et commerciale et une condamnation à mort de nombreux acteurs d’un marché pourtant en pleine explosion.
Plusieurs associations de producteurs et de détaillants ont même annoncé qu’ils porteraient cette affaire devant la justice, désignant le ministre comme principal accusé. Devant le tollé provoqué par la nouvelle réglementation, ce dernier a donc décidé hier de faire marche arrière après une réunion au sommet avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Les règles d’interdiction concernant les denrées alimentaires contenant du cannabis devraient être retirées et faire l’objet de discussions et de consultations avec toutes les parties intéressées, mais aussi avec l’ensemble de la population, comme l’a confirmé le président de la République par la voie de son porte-parole, Vincent Magwenya : « Le Président Cyril Ramaphosa a affirmé son soutien à une plus grande consultation des parties prenantes et à la participation du public sur l’élaboration de nouvelles réglementations qui limiteront les risques pour la santé et l’impact négatif des denrées alimentaires contenant du cannabis et du chanvre, en particulier sur les mineurs ».
Une décision qui a provisoirement apaisé la colères des professionnels du secteur, même si les autorités n’ont pas abandonné définitivement l’idée d’une réglementation sur le sujet, mais plutôt évoqué une nouvelle loi issue des concertations qui devraient se tenir dans les semaines à venir. L’enjeu est de taille, puisqu’il concerne des dizaines de milliers d’emplois répartis à travers les 1 400 entreprises agréées et les 400 PME de la filière cannabique qui ont vu le jour depuis la légalisation. Un peu partout dans le pays, de nombreuses personnalités se sont réjouies du revirement gouvernemental à l’instar d’Ivan Meyer, ministre de l’Agriculture et du Développement économique de la province du Cap qui a déclaré : « Cela permettra une consultation publique complète, en veillant à ce que toutes les voix, y compris celles des experts des entreprises et de la santé, soient entendues. Cela conduira à l’élaboration de politiques et de règles qui soutiennent le potentiel de l’industrie du cannabis et du chanvre pour créer des emplois, améliorer la santé publique et stimuler la croissance économique. »