Si la Thaïlande a créé l’événement en devenant le premier pays d’Asie à autoriser le cannabis, cela ne s’est pas fait dans une parfaite sérénité et cette légalisation a été émaillée de plusieurs rebondissements. Le dernier en date est le durcissement de la loi avec l’annonce faite hier par le ministre de la Santé d’une obligation pour les consommateurs de posséder un certificat médical leur autorisant l’utilisation du cannabis. Une injonction qui concernera également les touristes et pas seulement les Thaïlandais.
Le 9 juin 2022 demeurera un jour particulier pour la Thaïlande, puisque c’est à cette date que la légalisation du cannabis est entérinée dans le pays par la voix du ministre de la Santé d’alors, Anutin Charnvirakul. Officiellement destinée à réduire la surpopulation carcérale et à créer un nouveau marché susceptible d’offrir de nouvelles perspectives économiques à un monde rural en plein marasme, cette légalisation est toutefois soumise à plusieurs conditions, dont la principale est l’utilisation du cannabis à des fins strictement médicales. Le problème, c’est que la loi accompagnant cette décision a été fort mal rédigée et qu’elle est donc sujette à des interprétations fort diverses qui finissent par donner au cannabis un statut majoritairement récréatif à travers le pays. Ceci, malgré les différentes interdictions concernant la vente en ligne, les mineurs de 20 ans, les femmes enceintes ou la consommation dans l’espace public, ainsi que certaines obligations comme celle de posséder une licence d’état pour produire ou faire commerce de cannabis.
Le résultat, c’est que les détracteurs du cannabis qui sont nombreux dans le pays finissent par en dénoncer les dérives, s’en emparant pour en faire une arme politique. Ainsi, quand le pouvoir change de main lors des élections du printemps 2024, la Thaïlande se retrouve-t-elle dirigée par le parti Pheu Thai, qui a justement fait une partie de sa campagne sur les dangers du cannabis et l’interdiction stricte de son utilisation récréative. La menace ira jusqu’à la perspective d’un véritable retour en arrière en reclassant le cannabis sous toutes ses formes parmi les substances interdites, ce qui déclenchera un vaste mouvement de protestation, notamment du côté des agriculteurs, nombre d’entre eux ayant trouvé un nouveau souffle grâce à la légalisation. Face à cette opposition, mais également aux conséquences néfastes pour l’économie du pays le gouvernement abandonnera finalement son projet, se contentant de renforcer les contrôles et en particulier de la consommation dans l’espace public, même si dans les faits, de nombreux établissements vont continuer à proposer du cannabis à leurs clients.
Touristes et autochtones seront désormais obligés de posséder un certificat médical pour consommer du cannabis en Thaïlande.
Il se pourrait bien néanmoins que cette situation évolue avec le renforcement de la loi ou plutôt, une certaine clarification de la réglementation comme l’a annoncé ce mercredi le ministre de la Santé Somsak Thepsutin lors d’une conférence de presse. Parmi les mesures détaillées lors de cette rencontre avec les journalistes, le ministre a évoqué l’obligation pour tous les consommateurs de posséder un certificat médical attestant la nécessité d’un traitement à base de cannabis. Ceci pour en garantir l’usage thérapeutique et se conformer strictement à la loi établie en 2022. D’autre part, cette obligation ne concernera pas seulement les autochtones et les résidents, mais toutes les personnes posant le pied en Thaïlande et notamment les touristes de toutes origines, nombreux à visiter le pays chaque année. D’autres mesures actuellement en discussion devraient également être ajoutées au nouveau règlement, comme la mise en place d’un calendrier fixant les limites d’utilisation du cannabis selon la pathologie du patient.
Le docteur Somlerk Jeungsmarn, Directeur général du Département des Médecines Traditionnelles et Alternatives a défendu cette mesure en affirmant qu’elle servirait elle aussi à exclure tout usage récréatif du cannabis et a ajouté que le dépassement de cette limite pourrait conduire à des sanctions. Si rien n’a été encore décidé concernant les poursuites judiciaires et les peines qu’elles pourraient entraîner, les autorités ont d’ores et déjà évoqué des amendes conséquentes, mais aussi des périodes d’emprisonnement. Par la voix de son dirigeant M. Thepsutin, le ministère de la Santé se donne 40 jours pour publier le règlement définitif dans lequel seront détaillées l’ensemble des nouvelles mesures et les peines encourues par les contrevenants. Le ministre a également abordé lors de sa conférence la question du trafic illicite qui prend de l’ampleur depuis la légalisation et commence à poser de réels problèmes, notamment avec plusieurs pays étrangers auxquels est destinée la marchandise de contrebande.
« Les stocks de cannabis ont été exportés illicitement à partir de la Thaïlande, affectant des pays tels que le Royaume-Uni, l’Inde, le Pakistan et Hong Kong. Des saisies importantes ont été faites, dont 73 kilos dans le cadre de trois cas à l’aéroport de Suvarnabhumi », a ainsi précisé Somsak Thepsutin. Le phénomène touche en réalité bien d’autres pays parmi lesquels la France, comme l’a récemment révélé l’Office Anti-stupéfiants (OFAST). Plus d’une tonne de cannabis a ainsi été saisie en 2014 sur des vols en provenance de Thaïlande, l’OFAST précisant que cela représentait environ 4 % des saisies réalisées au cours de l’année précédente. Si ce chiffre est encore relativement faible, l’exportation illégale de cannabis thaïlandais vers la France augmente chaque année et il y a fort à parier que la pression internationale a pesé sur la décision de la coalition gouvernementale, actuellement dirigée par le Premier ministre Paetongtaern Shinawatra, de durcir la réglementation. Reste à savoir si les nouvelles mesures seront bien appliquée dans les faits, une trop stricte application pouvant nuire dans une certaine mesure à un narco-tourisme qui tend lui aussi à se développer depuis les trois dernières années.